Un an, une décennie pour Mélanie Joly

L’année 2022 n’a pas été de tout repos pour la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly. Dans la sphère diplomatique tout comme dans sa vie personnelle. Elle a reçu notre chroniqueuse chez elle pour parler un peu de politique internationale, mais surtout de l’intersection entre vie privée et vie publique.

C’est une offre difficile à refuser. Pourtant, quand Justin Trudeau a appelé Mélanie Joly au début de l’automne 2021 pour lui demander de devenir ministre des Affaires étrangères, la politicienne montréalaise a d’abord voulu passer son tour.

« Je faisais des traitements de fécondation in vitro (FIV). Donc, quand on m’a approchée, j’ai dit non. Je pensais que ce n’était pas possible pour moi de devenir maman tout en étant ministre des Affaires étrangères », raconte aujourd’hui la principale intéressée, assise à la grande table à manger de son appartement de Montréal.

Il va sans dire qu’elle a changé d’idée. Après avoir parlé avec son conjoint, l’artiste Félix Marzell, sa famille et son médecin, la députée d’Ahuntsic-Cartierville a saisi l’occasion qui lui était offerte de devenir cheffe de la diplomatie canadienne et, par le fait même, l’une des membres les plus influentes du cabinet des ministres. Tout ça sans mettre en veilleuse son désir d’enfanter, avec tout ce que ça implique de rendez-vous médicaux, de prise d’hormones et de calcul de cycles menstruels.

« Je ne regrette rien. Je pense que c’est possible de faire des traitements de FIV tout en étant ministre des Affaires étrangères, mais c’est un sport extrême », constate-t-elle 15 mois après s’être lancée.

Et comme dans tous les sports extrêmes, on court le risque d’y laisser une partie de soi.

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À peine quelques semaines après avoir accepté le poste, Mélanie Joly et son amoureux ont eu une bonne nouvelle. La nouvelle qu’ils espéraient depuis le tout début des traitements de fertilité. La nouvelle qui devait mettre fin au cycle infernal des grands espoirs et des immenses déceptions qui accompagnent chaque cycle de FIV. Après six tentatives, Mélanie Joly était enceinte.

« Juste avant Noël, j’ai fait une grosse fausse couche et ça s’est compliqué. Je me suis ramassée à l’hôpital, raconte-t-elle à peine un an plus tard. C’est la première fois que j’en parle en public. Les fausses couches, c’est vraiment tabou. Ça vient avec beaucoup de culpabilité. On se dit qu’on aurait dû faire les choses différemment », dit-elle.

C’est pour combattre ce tabou qui perdure – même si en moyenne une ou deux grossesses sur dix se terminent par une fausse couche – qu’elle nous accorde cette entrevue de fin d’année et nous laisse entrer dans son repaire, rempli d’œuvres d’art, de livres et d’objets design.

« C’est dur, une fausse couche. J’ai vécu ça difficilement, ajoute-t-elle alors que les larmes lui montent aux yeux. Je me suis lancée dans le travail. C’est comme ça que j’ai canalisé mes énergies », dit celle qui a été ministre du Patrimoine canadien, du Tourisme, de la Francophonie et des Langues officielles avant d’accéder à son poste actuel.

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Du boulot, il y en a eu beaucoup, beaucoup en 2022. « Depuis le 24 février dernier, quand Poutine a envahi l’Ukraine, le monde a changé. En 2022, on n’a pas vécu un an, on a vécu une décennie [en relations internationales] », a dit Mélanie Joly au Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) quelques minutes avant notre entrevue en tête-à-tête.

« L’invasion en Ukraine, c’est la plus grosse menace à la sécurité mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale. Ça met à l’épreuve les normes internationales et les institutions qu’on a construites depuis 1945. C’est une grande préoccupation et ça a un impact sur notre politique étrangère et nos relations avec d’autres États. Il y a beaucoup de crises en même temps, l’Ukraine, la crise climatique et la pandémie. Tout ça a fait en sorte qu’on est dans une situation extrêmement difficile », résume-t-elle.

Et ce tremblement de terre diplomatique se traduit par une multiplication des réunions internationales et bilatérales. Et une intensification de la collaboration avec les alliés les plus proches – dont les États-Unis, l’Allemagne, l’Angleterre et la France.

« On n’a jamais été aussi proches », dit la ministre, qui, en un an, s’est rendue dans 28 pays. « Et il y a des pays où je suis allée plusieurs fois. En Allemagne, au moins six fois, et en Indonésie, trois », détaille-t-elle.

En plus de contribuer à la gestion de plusieurs crises, la ministre a lancé un grand chantier pour réformer la diplomatie canadienne et a dévoilé la stratégie indopacifique qui était attendue depuis des années. Des sceptiques, qui avaient soulevé des doutes lors de sa nomination, se ravisent aujourd’hui.

Et à travers tout ça, il a fallu garder en tête le calendrier des rendez-vous médicaux. Un travail d’équilibriste. « Le fait que je parle ouvertement de fécondation in vitro, ça m’aide avec mes équipes, mais aussi avec mes homologues internationaux. Il y a eu deux congrès internationaux auxquels je n’ai pas pu participer et j’ai expliqué sans détour à mes collègues que je devais faire un transfert d’embryon parce que je veux être maman », raconte Mélanie Joly. La ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, Annalenna Baerbock, a même accepté de venir à Montréal en août dernier pour simplifier la vie de son homologue canadienne.

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Alors qu’elle s’apprête à souffler 44 bougies, Mélanie Joly sait que l’année 2023 sera aussi mouvementée que 2022. « Je me sens forte et capable de gérer la pression. Je suis ministre depuis sept ans. J’en ai eu, des hauts et des bas, et j’ai de la résilience par rapport aux évènements », note-t-elle, en faisant notamment référence à l’épisode du congé de taxes accordé à Netflix qui lui avait valu des critiques acerbes quand elle était ministre du Patrimoine canadien.

Sur son écran radar professionnel, il y a bien sûr toujours le conflit russo-ukrainien et l’ombre nucléaire qu’il fait planer sur toute la planète, mais il y a aussi la Chine et ses velléités régionales. « Ce qui est le plus préoccupant, c’est qu’il y a deux situations difficiles en même temps. La bonne nouvelle, c’est que l’Occident est très uni », note-t-elle, en ajoutant qu’elle continuera à travailler d’arrache-pied pour que cette solidarité ne s’étiole pas.

Et elle ne baisse pas les bras non plus dans sa bataille personnelle. « Il y a des percées dans la science, je suis bien entourée, j’ai un conjoint extraordinaire, énumère-t-elle. Je reste optimiste. »

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